Votre retrait au distributeur ce matin ? COBOL. Votre salaire viré vendredi dernier ? COBOL. Vos actions en bourse qui fluctuent en temps réel ? Encore COBOL.
Et pourtant, la plupart des développeurs n'en ont jamais écrit une seule ligne.
Alors, qu'est-ce que COBOL ce fantôme de 1959 qui dirige l'économie mondiale dans l'ombre ?
COBOL : le dinosaure immortel qui dirige la finance
COBOL signifie COmmon Business-Oriented Language. Développé en 1959 par le Département de la Défense américain avec l'aide de la légendaire Grace Hopper.
Sa philosophie ? Un code si verbeux qu'il se lit presque comme de l'anglais.
Destiné aux entreprises, ce langage a un objectif simple : traiter des volumes massifs de données commerciales avec une précision mathématique absolue.
Un langage bavard mais précis
La force du COBOL : la précision. Sa faiblesse : c'est long à écrire.
Voici à quoi ressemble du COBOL, comparé à Python moderne :
IDENTIFICATION DIVISION.
PROGRAM-ID. CALCULATE-INTEREST.
DATA DIVISION.
WORKING-STORAGE SECTION.
01 ACCOUNT-BALANCE PIC 9(10)V99 VALUE 0.
01 INTEREST-RATE PIC 9V9999 VALUE 0.0350.
01 CALCULATED-INTEREST PIC 9(10)V99.
PROCEDURE DIVISION.
MOVE 10000.00 TO ACCOUNT-BALANCE.
MULTIPLY ACCOUNT-BALANCE BY INTEREST-RATE
GIVING CALCULATED-INTEREST.
DISPLAY "Intérêts calculés : " CALCULATED-INTEREST.
STOP RUN.
Le même programme en Python :
account_balance = 10000.00
interest_rate = 0.0350
calculated_interest = account_balance * interest_rate
print(f"Intérêts calculés : {calculated_interest}")
Le type PIC 9(10)V99 garantit exactement 10 chiffres avant la virgule et 2 après.
Pas d'approximation, pas d'erreur d'arrondi.
Quand on manipule l'argent de millions de personnes, cette rigueur est vitale.
Des chiffres qui donnent le vertige
Les chiffres donnent le vertige. Il existe aujourd'hui 220 milliards de lignes de code COBOL en production active. Pour contextualiser : Windows 10 contient environ 50 millions de lignes, Facebook 60 millions.
Les systèmes codés en COBOL gèrent :
- 95% des retraits aux distributeurs automatiques dans le monde
- 80% des transactions par carte en magasin
- 43% des systèmes bancaires aux États-Unis
- La quasi-totalité des systèmes de paie des grandes entreprises
La Banque de New York Mellon possède à elle seule 112 500 programmes COBOL distincts, totalisant 343 millions de lignes de code.
Chaque grande banque internationale affiche des chiffres similaires.
Les secteurs de l'assurance, de la santé, du gouvernement et même de la logistique reposent massivement sur ce langage.
Avec de tels chiffres, pourquoi n'a-t-on pas encore remplacé ce dinosaure par des technologies modernes ?
Pourquoi il est impossible de s'en débarrasser
Une stabilité digne d'un bunker nucléaire
La réponse tient en un mot : stabilité.
Les systèmes COBOL ont été débogués pendant 60 ans. Chaque cas limite identifié. Chaque erreur potentielle corrigée. Chaque scénario catastrophe anticipé.
Le PIB mondial entier transite par ces systèmes. Ils ne peuvent pas et ne doivent pas tomber, sinon le monde s'arrête.
Comparons avec le développement moderne :
Une application TikTok peut être lancée avec des bugs. Un compteur de likes erroné ? Pas grave. Mais si une banque perd la trace d'un milliard de dollars pendant une heure ? Chaos financier à l'échelle mondiale.
COBOL offre une fiabilité que les technologies récentes mettront des décennies à atteindre.
Le coût astronomique du remplacement
Le coût du remplacement est tout simplement astronomique.
La Commonwealth Bank of Australia a tenté de migrer son système central COBOL vers une architecture moderne en 2012. Résultat ? Un milliard de dollars australiens dépensés. Le double du budget initial. Le projet a pris des années de plus que prévu.
Pire encore : l'exemple de TSB Bank au Royaume-Uni :
En 2018, suite à un rachat, la banque a été forcée de migrer depuis son système COBOL. La migration a échoué. La banque est restée hors service pendant plusieurs jours.
Bilan financier catastrophique :
- 330 millions de livres de coûts liés à l'indisponibilité
- 49,1 millions perdus à cause de fraudes durant la panne
- 125 millions versés en compensations clients
- 122 millions pour embaucher du personnel gérant 204 000 réclamations
- Le PDG a démissionné
Au total plus de 600 millions de livres dépensé.
COBOL une bombe à retardement en manque de développeurs ?
Migrer du COBOL, c'est littéralement changer les moteurs d'un avion en plein vol :
- Le code est multi-couches, accumulé sur des décennies.
- La documentation inexistante ou perdue.
- Les développeurs qui l'ont écrit dans les années 70 ? Partis à la retraite depuis longtemps.
Personne ne comprend parfaitement ce que fait chaque module. Les universités n'enseignent plus ce langage depuis les années 2000. Les jeunes diplômés veulent travailler sur React, Python, Go.
Bill Hinshaw, 75 ans, ancien programmeur COBOL, a fondé COBOL Cowboys au Texas.
Leur slogan ? "Not our first rodeo" (pas notre premier rodéo).
Cette entreprise de consultants – dont les plus jeunes ont la cinquantaine – intervient en urgence dans des banques, des compagnies d'assurance et des agences gouvernementales désespérées.
Hinshaw raconte : "Du code que j'ai écrit pour des banques dans les années 70 tourne encore aujourd'hui."
Face à cette situation, quelles solutions s'offrent aux institutions qui veulent moderniser ?
Le dilemme : moderniser ou périr
La pandémie de COVID-19 a révélé l'ampleur du problème :
Avril 2020. Le gouverneur du New Jersey lance un appel public désespéré pour recruter des programmeurs COBOL. Les systèmes d'allocations chômage de l'État, submergés par la crise, ne tiennent plus. Ces systèmes vieux de 40 ans nécessitent des modifications urgentes.
Problème : l'État n'a plus assez d'experts COBOL disponibles.
Un vice-président d'Unisys racontait en 2014 l'histoire d'un client gouvernemental employant un développeur de 70 ans, sous assistance respiratoire, qui détenait toutes les connaissances critiques du système.
Les trois stratégies possibles
Face à ce casse-tête, trois stratégies émergent. Chacune avec ses pièges :
- Option 1 : Maintenir l'existant.
C'est la solution actuelle de nombreuses institutions. Elles augmentent les salaires des rares experts COBOL pour les retenir. Certains consultants facturent 200 à 300 dollars de l'heure. Mais cette approche est une impasse. Il n'y aura simplement plus assez de développeurs COBOL disponibles. À aucun prix.
- Option 2 : Réécrire entièrement.
Reconstruire le système from scratch dans un langage moderne comme Java ou Python. C'est l'approche la plus risquée. Le risque principal ? Un cas critique traité par le vieux code, non géré par le nouveau, qui coûtera des millions voir des milliards.
- Option 3 : Traduire automatiquement.
Des outils émergent qui convertissent le COBOL en Java, JavaScript, Python ou C# sans perte de fonctionnalité. C'est là que l'IA peut devenir un game changer. Le soucis ? Comment entrainer les modèles sans documentation, et à chaque fonctionnalité comment s'assurer que tout correspond sans erreur ?
L'opportunité cachée pour les développeurs
Paradoxalement, cette crise crée des opportunités de carrière spectaculaires. La pénurie de développeurs COBOL fait exploser les salaires.
Un programmeur COBOL expérimenté peut facilement négocier 150 000 à 200 000 dollars annuels. Voire plus en consulting.
Des plateformes comme IBM proposent des formations gratuites pour former la nouvelle génération. Plus de 180 000 développeurs ont suivi ces programmes ces dernières années.
Pour les jeunes développeurs curieux, apprendre COBOL représente un pari contre-intuitif mais potentiellement lucratif. Alors que des millions de personnes apprennent React ou Python, une poignée seulement maîtrise ce langage qui fait tourner l'économie mondiale.
La rareté crée la valeur. Mais que nous réserve vraiment l'avenir de COBOL ?
Conclusion
La prochaine fois que vous retirerez de l'argent au distributeur, pensez-y. Derrière l'interface moderne, et les APIs RESTful, il y a surement un vieux programme COBOL de 1978 qui valide silencieusement votre transaction.
Il tourne 24/7 depuis des décennies. Il ne plante jamais, et Il fait exactement ce qu'on lui demande.
COBOL n'est pas juste un langage vieillissant : c'est le pilier invisible de l'économie mondiale. Sa stabilité légendaire explique pourquoi personne ne peut l'abandonner.
Peut-être que la vraie définition d'un bon code, c'est celui qui fonctionne encore quand son créateur a pris sa retraite.
Et soyons réalistes : COBOL sera encore là dans 20 ans.
La transition sera lente, progressive, méthodique. Les institutions avanceront prudemment, module par module, sur des décennies.
Cette histoire enseigne une leçon aux architectes d'aujourd'hui. Ce framework à la mode que vous choisissez maintenant ? Il deviendra peut-être l'héritage maudit de 2065.



